extrait de « Soleils d’hier »  © 2001
Anick BAULARD 
Une maîtresse

Qu’il était doux, Madame, de s’asseoir près de vous
Dans la pénombre bleue de la salle d’étude ;
J’attendais ce moment, ce tendre rendez-vous,
Où nous nous retrouvions en presque solitude.

Je vous aimais, Madame, comme on aime à sept ans,
D’un amour violent, absolu, sans partage ;
Je guettais votre pas sur le plancher grinçant
Et volais le parfum de votre lent sillage.

Je frôlais votre robe, à peine, comme en rêve,
Et j’aurais bien donné jusqu’à deux roudoudous
Pour rouler en mes doigts, quelques secondes brèves,
La mèche de chignon coulée dans votre cou.

Vous saviez tout, Madame : des mots mirobolants
Glissaient de votre craie au tableau noir magique ;
J’y voyais défiler des horizons troublants,
Des mondes inconnus, des héros magnifiques.

Oh oui, vous saviez tout ! et j’étais sûre, même,
Qu’à moi, et à moi seule, vous faisiez ce présent,
Ce don total de vous, comme lorsque l’on aime…
Vous m’abreuviez de vous, et c’était si grisant !

Un soir, pourtant, sonna le glas de ce bonheur,
Quand, la porte vitrée ouverte violemment,
Une petite fille en tablier à fleurs
Se jeta dans vos bras, vous appelant  » Maman « …

Cette enfant trop jolie qui fracassait le charme,
Je l’eusse volontiers griffée, égratignée…
Seul un buvard taché fut témoin de mes larmes,
Mais la morsure au cœur saigne encore, en secret.

Je vous aimais, Madame, mais l’amour à cet âge
Ne se contente pas de cadeaux à demi.
Jamais plus, de ce jour, je n’ai cru au mirage
D’une passion d’enfant, d’un soleil interdit.